par Robert Halleux, secrétaire perpétuel intérimaire

Point n°2 de l'Assemblée générale (15 septembre 2023)

Ce point comprend la remise de la médaille Alexandre Koyré et du prix des jeunes historiens.

1 : Médaille Alexandre Koyré

Chères Collègues,
Chers Collègues,

La médaille Alexandre Koyré est décernée tous les deux ans par le Conseil. Elle couronne non pas un livre, mais l’œuvre d’une vie. Les deux derniers titulaires ont été les Professeurs Robert Fox et Liu Dun. Dans sa séance du 18 décembre 2021, le conseil a l’unanimité a décerné la médaille Koyré 2021 à Mme le Professeur Christine Fili.

Ma Chère Christine,
En ces temps troublés, la distinction que je vais te remettre au nom de l’Académie n’a pas manqué de susciter des remous. Des personnes vertueuses ont mis en cause, non point ton dossier qui est impressionnant, mais ton union avec notre vénéré Président, Sergey Demidov, isolé à Moscou à ce moment et tout surpris d’apprendre la nouvelle. Circonstance aggravante, il est citoyen russe et fier de l’être.
Mais laissons les petites gens à leurs petites pensées. Comme disait Chateaubriand : « Il faut être avare de son mépris, il y a trop de nécessiteux ».

Pour moi, c’est avec une joie particulière que je brave ceux chez qui les principes tiennent lieu d’intelligence et de cœur. Car il s’agit aujourd’hui d’honorer une grande savante, une aristocrate de la science et, par son intermédiaire, une génération qui s’en va.

Comme savante, tu t’inscris dans la grande tradition de la polymathie où l’unité de la méthode transcende la diversité des périodes et des sujets. Ta thèse d’État, en 1988, sur La théorie des fonctions analytiques chez Lagrange, t’ouvrait l’histoire des mathématiques au XIXe siècle mais, sur le conseil de notre maître René Taton, tu as entrepris une œuvre monumentale sur l’histoire des mathématiques et de l’enseignement des mathématiques dans la Grèce ottomane et indépendante : une période dont on savait peu de choses et où ton travail pionnier a été couronné par l’Académie d’Athènes. Grâce à toi, Methodios Anthrakitis, l’École de Johannina, le grand Karatheodory sont sortis de l’oubli et ont la place qu’ils méritent dans l’histoire des sciences. À travers eux, c’est toute la communauté mathématique européenne que tu as explorée, toujours d’après les sources originales et les archives en conjuguant la double rigueur de la mathématique et de la critique historique.
Mais en Grèce comment ne pas parler de nos chers Anciens ? Tu t’es plongée avec le même bonheur dans Héron d’Alexandrie, Diophante, Théodore Gaza.
Et ce que l’on ne sait pas, c’est que tu as mené des recherches intrépides sur mathématiques et littérature, sur Queneau et les Oulipiens et que tu es toi-même une délicate poétesse.

Une aristocrate de la science : nos consœurs se réjouiront que tu sois la troisième femme à obtenir la médaille Koyré, après Galina Matvievskaia et Brigitte Hoppe. Mais tu es d’un autre temps et d’un autre style, aristocrate de la science par tes traditions de famille, ta pratique des langues, ton cosmopolitisme et pour tout dire, ta rare élégance. Je ne trahirai pas un secret en disant que, frappée par la maladie et par bien d’autres embarras, tu as héroïquement sauvé la face et maintenu ta vie mondaine et la générosité de tes invitations et de tes mille petites attentions. Et puisque le règlement interdit de décerner la médaille aux membres du Conseil en exercice, je te prie de partager cet honneur avec ton compagnon de toujours, notre Président Sergey Demidov, mon frère et mon ami, lui aussi homme de tradition, de savoir et de devoir, héritier de la grande école soviétique d’historiens des sciences.

Mais je voudrais enfin, par ton intermédiaire, rendre hommage à une génération qui s’en va : notre génération. Juliette Gréco chantait [en français] « les feuilles mortes se ramassent à la pelle/ Les souvenirs et les regrets aussi ». Te souviens-tu, Christine, des jeudis au Centre Koyré autour de la grande table et de nos discussions dans le bus 21 qui nous ramenait, toi avenue Reille, moi Boulevard Jourdan, tandis que les feuilles tourbillonnaient sur le Parc Montsouris. Te souviens-tu de tous nos compagnons qui ne sont plus là ? Venus de tous les continents et de tous les pays, nous étions les héritiers de la République des lettres et notre devise commune était le respect de nos maîtres, le respect du document, de l’exactitude scientifique, l’humilité et l’estime mutuelles.

En pleine Guerre froide, nos maîtres Taton, Costabel, Youchkevitch et Grigorian réunis autour de grands projets communs comme la correspondance d’Euler, savaient que si les humains passent, les œuvres restent pour toujours comme le disait Thucydide.
Notre génération s’en va. Puissent nos successeurs savoir qu’il y a des préceptes que l’on ne peut impunément transgresser.

2 : Prix des jeunes historiens

Le prix est remis, comme la Médaille Koyré, tous les deux ans. Il couronne le premier livre publié ou inédit d’un historien des sciences débutant. La procédure d’attribution est traditionnellement empirique. L’ouvrage est proposé au Conseil par un membre et fait l’objet d’un rapport par un autre membre.

Pour 2021, deux ouvrages sont couronnés :

Petros Bouras-Vallianatos, Innovation in Byzantine Medicine. The writings of John Zacharias Aktouarios (c.1275-1330), Oxford UP 2020, proposé par Matteo Martelli et expertisé par Robert Halleux.

Anna Jerratsch, Der frühneuzeitliche Kometen-diskurs im Spiegel deutschsprachiger Flugschriften, Wiesbaden, Steiner, 2020, proposée par Eberhard Knobloch et expertisé par Chantal Grell.