L' Académie internationale d’histoire des sciences peut légitimement placer sa fondation au cours de l’hiver 1927-1928. C’est en effet dans le numéro de novembre-décembre 1927 de la revue Archeion que parut le premier appel d’Aldo Mieli, professeur à l’Université de Rome, à ses collègues historiens des sciences pour une participation active et organique aux travaux de l’organisation historique internationale. Celle-ci, dirigée par un comité de fondation américaine (The International Committee of Historical Sciences), se préparait alors la tenue du VIe Congrès des sciences historiques, en août 1928, à Oslo. Et l’initiative d’Aldo Mieli aboutit, dans le cadre du Congrès, à la constitution d’un Comité international d’histoire des sciences à propos duquel le promoteur prononçait déjà le nom d’Académie.
En un siècle où tout ce qui touche à la science vieillit très vite, cinquante ans constituent pour l’Académie internationale d’histoire des sciences un âge avancé et justifient que le cinquième secrétaire perpétuel tienne à l’égard de l’institution un propos d’historien. Faire mémoire des éléments essentiels d’une chronique qui a mal résisté à l’épreuve du temps, relever les données les plus significatives, tels sont les deux pôles de ce propos au service de la réflexion que l’historien que l’historien veut toujours utile.
Dans cette perspective, on ne saurait négliger d’accorder une attention particulière aux origines. Si l’essor de l’histoire des sciences remonte à la fin du XIXe siècle, c’est après la Première Guerre mondiale que la naissance et le développement de revues spécialisées ont mis effectivement à l’ordre du jour l’ambivalence de la publication. Son bienfait lorsqu’elle sert la communication des esprits sur des travaux de valeur, sa nocivité lorsqu’elle diffuse l’erreur ou la médiocrité. Plus sensible à cet aspect négatif, Aldo Mieli se permettait d’écrire dans l’article cité plus haut « Les écrivains de troisième ordre qui remplissent les revues d’anecdotes et de niaiseries qui ne méritent pas le nom d’histoire des sciences, n’ont pas jusqu’ici à craindre que leurs petites sottises soient jugées comme il faut par un tribunal compétent ». Et tandis que ses collègues, directeurs de grandes revues internationales, rejoignaient aisément son souci de promouvoir une collaboration sérieuse entre historiens des divers pays, lui-même inclinait à concevoir surtout l’organisation à mettre en œuvre comme un directoire de contrôle et de régulation.
Pour la profession organisée de l’histoire des sciences, Aldo Mieli rejetait cependant la formule simple de l’association basée sur l’adhésion volontaire des personnes, avec cotisation. Car il suffisait, disait-il, que la répugnance pour une telle formule écarte quelques-uns des historiens éminents, et de réputation bien établie, pour que leur absence enlève à l’organisation toute sa valeur. Il pensait que l’adhésion volontaire change de signification lorsqu’elle est demandée comme acceptation de la reconnaissance des mérites et pour une charge honorifique, et il préconisait de s’appuyer, d’une part sur de grandes institutions internationales, d’autre part « sur une élite d’historiens des sciences à choisir selon les règles et procédés des grandes Académies ».
Le vœu émis le 17 août 1928 par le Congrès des sciences historiques lui donna satisfaction, mais en ramenant la fonction du Comité de l’élite à des perspectives à la fois plus modestes et plus pratiques, à savoir « développer les relations entre les historiens des sciences » et « faciliter leurs études, notamment en publiant ou en aidant à publier les instruments de travail, bibliographies ou autres, qui leur font défaut ». Manifestement, la majorité des six autres membres fondateurs (Abel Rey, George Sarton, Henry E. Sigerist, Charles Singer, Karl Sudhoff, Lynn Thorndike) ne suivait pas Aldo Mieli quant à l’idée de constituer un « tribunal compétent » et visait davantage, avec réalisme et sagesse, au service effectif de la recherche historique dans un domaine qui restait encore très neuf.
C’est à ce service effectif que le Centre international de synthèse, récemment fondé par Henri Berr à Paris, 12, rue Colbert, apporta l’appui le plus efficace, fixant ainsi durablement, et jusqu’aujourd’hui, le siège même de l’organisation .
Les fondateurs avaient prévu à Oslo une structure extensive (30 membres effectifs et 50 correspondants) et s’étaient associés le 1er mars 1929 quinze nouveaux membres effectifs pour préparer l’avenir. En particulier pour assurer le premier Congrès international d’histoire des sciences prévu pour le 20-25 mai 1929, à Paris, à la mémoire de Paul Tannery. C’est au cours de ce premier Congrès que furent adoptés des statuts, de structure académique, avec élection des nouveaux membres basée uniquement sur la qualité de leurs travaux, mais, malgré l’insistance d’Aldo Mieli, pourtant investi comme « secrétaire perpétuel », le nom d’Académie ne rencontrera pas la faveur d’une majorité suffisante.
Le Comité n’allait pas tarder à rencontrer sur sa route les conséquences de l’ambiguïté des origines. Bien que le système de la cooptation scientifique ait eu à l’époque les meilleures chances de fonctionner normalement, étant donné que le nombre encore restreint des spécialistes dans les divers pays leur permettait une bonne connaissance mutuelle, il s’avéra très vite que les pays à forte représentation initiale risquaient, le plus naturellement du monde, d’accroître leur présence au détriment des pays sous-représentés. Aussi, dès le mois de mai 1930, il fut décidé que les membres effectifs et correspondants d’une même nation pouvaient constituer un groupe national . Précision était explicitée que de tels groupes, indépendants du Comité international, avaient toute liberté pour se donner la forme et les statuts qu’ils jugeraient convenables et qu’ils devaient tendre, d’une part à comprendre d’autres membres que ceux déjà intégrés dans le Comité international, d’autre part à obtenir des subventions de leur gouvernement respectif. Il s’agissait donc à la fois de donner consistance aux représentations nationales, de leur permettre de promouvoir des réserves d’hommes compétents, et de contribuer à la solution des problèmes financiers.
L'opération eut à ce point de vue un premier résultat encourageant. Au Deuxième Congrès international d'histoire des sciences, en 1931, à Londres, le Comité put se féliciter des subventions versées par cinq gouvernements (France, Espagne, Allemagne, Hongrie, Grèce), mais Aldo Mieli n'obtint pas l'adoption d'une modification aux statuts visant à consacrer le nom d'Académie et à augmenter le nombre des membres (40 effectifs, 80 correspondants) avec réservation d'un certain nombre de places (92 sur 120) aux représentations nationales . L'année suivante, 1932, la République espagnole fut la seule à renouveler sa subvention. C'est à l'occasion de la Quatrième réunion annuelle du Comité, en mai 1932 à Paris, que la modification des statuts fut enfin admise, avec une nouvelle augmentation du nombre des membres (50 effectifs, 100 correspondants), mais sans aucune mention d'une réservation quelconque de places à titre national . Si l'on peut donc fixer au 16 mai 1932 la reconnaissance officielle de l'Académie internationale d'histoire des sciences, il est cependant évident que cette reconnaissance, ardemment souhaitée par Aldo Mieli, se réalisait sans que les problèmes pratiques soulevés par trois années d'exercice aient été clairement posés et résolus.
Sans aucun doute, le maintien en sous-titre de « Comité international d'histoire des sciences » suggérait que l'Académie, société savante de personnes physiques, éprouvait le besoin de s'appuyer sur un ensemble de groupes nationaux - et ceci à la fois pour des raisons financières et pour un recrutement normalisé des futurs académiciens -, mais cette suggestion restait à l'état confus. A la Cinquième Assemblée annuelle, à Varsovie, le 23 août 1934, il fallut reconnaître que la caisse de l'Académie était vide, et accorder aux groupes nationaux une voix consultative dans les affaires d'une institution dont ils demeuraient indépendants .
Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale les conséquences de cette situation devaient se faire lourdement sentir. Les Troisième et Quatrième Congrès internationaux (Coimbra, sept.-oct. 1934 ; Prague, sept. 1937) ne durent leur réalisation qu'à l'activité des groupes nationaux portugais et tchécoslovaque. Installé à Paris depuis plusieurs années, le secrétaire perpétuel, Aldo Mieli, ne pouvait que compter sur les divers concours généreux qu'il trouvait principalement au Centre international de synthèse ; face aux groupes nationaux chaque élection de nouveaux membres devenait pour lui affaire diplomatique délicate.